1 – DIEU EST-IL NECESSAIRE A L’EXPLICATION DU MONDE ?
11 – Le problème du temps, problème clef
Le problème d’un créateur ne se poserait pas si l’environnement des hommes
était éternel, sauf à concevoir la coexistence intemporelle du créateur avec sa
création comme miroir. Le nœud du problème est donc dans l’origine du vecteur
temporel qui, dès lors que la matière est éternelle, ne se pose plus.
L’éternité implique l’immobilité, sinon contingente, au moins dans sa
globalité. Il est d’ailleurs étonnant que des systèmes de pensée aient pu
imaginer un environnement des hommes invariant, alors que la trame de
leur vie, quelle qu’en soit l’échelle individuelle ou sociétale, est marquée
par le changement. Imaginer que le changement puisse être cantonné dans un
ensemble fixe revient à tenter d’isoler la partie du tout auquel elle
appartient ce qui est bien sûr absurde. Contradiction que de nombreuses
cosmogonies mythiques ont tenté tourner en conciliant permanence et changement
par l’introduction de cycles impliquant un retour régulier de la roue du temps.
L’Univers matériel où nous sommes présente-t-il cette intemporalité
globale ?
La science contemporaine a fait litière de tous ces mythes de l’invariance
globale des cycles. La théorie du Big-Bang, aujourd’hui admise par la plus
grande partie du monde scientifique, implique tout à la fois la très longue durée
de l’Univers, une origine du temps, et une perpétuelle évolution jusqu’à la
dilution à très long terme dans un espace infiniment grand et irrémédiablement
froid.
Idée dérangeante entre toute que cette flèche du temps avec un début qui
pose le double problème de ce qu’il y avait avant l’explosion primordiale et de
l’absurde dilution de la matière dans une mort définitive sans pourtant qu’elle
disparaisse. Certaines variantes ont bien tenté de sortir de l’inconfort par le
rétablissement d’une évolution cyclique, imaginant l’enchainement de phases
d’expansion ouvertes par un big bang alternant avec des phases de contraction
ponctuées par un big crunch prélude à un nouveau cycle. Hypothèse séduisante
d’une éternité intellectuellement confortable, malheureusement peu probable à
la lumière des dernières connaissances qui excluent une force gravitationnelle
suffisante pour arrêter l’expansion indéfinie.
Ainsi n’échappe-t-on pas à la flèche du temps et à la question de l’origine
de l’Univers et donc de son sens
12 – L’introduction d'un Dieu créateur simplifie-t-elle
l’explication ?
Lorsque s’est imposée l’idée d’un big bang, les croyants se sont
réjouis : l’idée que le monde devait avoir eu un début, la probabilité du
tout premier instant d’un univers hyper-concentré d’énergie pure rétablissait
l’idée d’un créateur initiateur de l’impulsion primordiale. En quelque sorte,
le Big Bang recréait le créateur. Le problème d’un dieu créateur se trouvait
ainsi résolu … mais pas celui de l’éternité.
Car si l’éternité de la matière est difficilement concevable pour les
petits vecteurs temporels bornés que nous sommes, l’éternité d’un esprit
immatériel ne l’est pas moins. Pourquoi l’éternité de l’esprit et pas celle de
la matière? D’autant que s’y ajoutent et le mystère de la substance de cet être
immatériel et la question de savoir comment la non-matière de cet être peut
créer la matière et interagir avec elle. En fin de compte, loin de simplifier
l’explication du Monde, l’introduction d’un dieu créateur ne fait qu’ajouter
une dimension supplémentaire au problème de son origine.
13 – Le Monde peut-il s’expliquer sans Dieu ?
Alors peut-on pour simplifier le problème tenter de se passer de
Dieu ?
Pour cela il faut d’abord accepter que l’Univers, et par delà l’Homme,
n’ait pas de sens. Même si l’absence de sens est inconfortable, elle n’est pas illogique.
C’est même l’absence de sens qui paraît le plus facilement démontrable. En
effet si la destinée humaine individuelle et collective a un sens,
l’environnement où elle s’insère est impliqué et la création s’organise en
fonction de ce sens. Or en admettant que c’est l’Homme qui constitue le cœur de
la création –ce qui est le postulat le plus probable- le créateur organise
autour de lui les éléments qu’il juge nécessaires à l’accomplissement de la
destinée de sa créature selon le principe d’utilité. On n’imagine pas alors le
créateur entourant l’homme d’un environnement contraire à sa créature ou,
peut-être pire, d’éléments qui lui soient inutiles. Passe encore qu’une
part de l’environnement soit hostile à l’homme : on peut toujours admettre
que le dessein de Dieu soit d’éprouver sa créature pour des raisons
inconnaissables. Mais que dire de ce gaspillage d’éléments à tout jamais hors
du champ d’interaction avec la destinée des hommes : que d’astres
lointains et vides dont l’influence sur le destin de l’Homme est nulle. Comment
concevoir qu’une conscience suprême, créatrice et ordonnatrice de l’Univers ait
été responsable d’un tel déploiement d’inutilité.
En fin de compte la nécessité d’un dieu créateur pour expliquer l’existence de l’univers reste irrésolue. Poser son existence ne résout en rien la question de l’éternité dont le problème n’est finalement que déplacé, cela ajoute le problème d’une substance immatérielle et se heurte au paradoxe de l’inutilité d’une grande part de la création. Dans ces conditions, se passer de Dieu pour expliquer le monde simplifie plutôt la question, même si ça ne la résout pas. Seul écueil, l’irrémédiable perte de sens de la destinée humaine dont la portée morale est dès lors posée.